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Conquête de l’Europe par les plantes à fleurs au Crétacé

 

Un scénario en trois phases basé sur les feuilles fossiles

 Auteur : CNRS

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Feuille d’une Angiosperme aquatique Klitzschophyllites choffatii provenant du Crétacé inférieur de la province de Teruel (Espagne) © Bernard Gomez

Les plantes à fleurs sont aujourd’hui dominantes dans tous les environnements, mais cela n’a pas toujours été le cas. De nouveaux résultats montrent que durant le Crétacé, les plantes à fleurs ont conquis l’Europe en trois phases s’étalant sur plus de 40 millions d’années. Cette analyse explique la radiation initiale des plantes à fleurs comme une diversification graduelle dans le temps et dans l’espace. Elle vient d’être mise en évidence par une collaboration internationale coordonnée par un chercheur du Laboratoire de géologie de Lyon : terre, planètes et environnement (CNRS/ENS de Lyon/Université Lyon 1). Leurs travaux sont publiés sur le site des PNAS (2 décembre 2012).

En 1875 et 1879, Charles Darwin qualifia l’apparition fréquente de feuilles d’Angiospermes au début du Crétacé supérieur (étage Cénomanien) d’« abominable mystère ». Une étude récente jette un nouveau regard sur cette énigme de l’évolution. Ce travail concerne l’Europe. Les fossiles végétaux connus au Crétacé sont exceptionnels, ils couvrent l’intervalle -135 à -65 millions d’années, représentent une gamme large d’environnements et sont étudiés depuis le milieu du XIXème siècle. La diversité des Angiospermes n’est pas la même selon le temps et selon l’environnement considéré. Cette observation provient-elle simplement d’archives fossiles incomplètes ou est-elle révélatrice de l’adaptation graduelle de ces espèces aux conditions environnementales ? De nombreuses interprétations apparemment contradictoires ont été proposées, mais y a-t-il une manière de les concilier ?

Déferlante fleurie sur l’Europe il y 130 millions d’années

L’équipe de paléobotanistes français et américain s’est penchée sur cette question en essayant d’établir la diversité par environnement au cours du Crétacé. Une base de données sur les feuilles de fougères, conifères et angiospermes provenant de nombreux gisements fossiles en Europe a été dressée et l’environnement de chacun a été précisé. Les scientifiques ont analysé ces données à l’aide d’une méthode mathématique, la parcimonie de Wagner, plus couramment utilisée dans les analyses cladistiques pour comparer les espèces à partir de leurs caractères. Ici, les localités ont été comparées à partir des espèces présentes dans chacune des localités. Les chercheurs ont ainsi pu reconstituer les changements des associations de plantes par environnement au cours du Crétacé.

Ces chercheurs proposent un scénario pour la radiation des angiospermes entre le Barrémien (130 Ma) et le Campanien (-84 Ma) basé sur les feuilles fossiles de plantes.

Les résultats démontrent que les angiospermes migrèrent dans de nouveaux environnements en trois phases :

  1. Barrémien (130-125 Ma) zones humides liées à des lacs d’eau douce,

  2. Aptien-Albien (125-100 Ma) sous-bois des plaines d’inondations (sauf levées naturelles et en arrière dans des zones plus basses et marécageuses,

  3. Cénomanien-Campanien (100-84 Ma) levées naturelles, en arrière zones plus basses et marécageuses et marécages côtiers.

Ce scénario permet de quantifier l’évolution des angiospermes dans le temps et dans l’espace en mettant en parallèle les changements de l’environnement biologique et de l’environnement physique.

Cette interprétation de la radiation des angiospermes en trois phases permet de réconcilier les scénarios basés précédent uniquement sur les plantes fossiles de l’Amérique du Nord.

Référence

« Rise to dominance of angiosperm pioneers in European Cretaceous environments »

Clément Coiffard, Bernard Gomez, Véronique Daviero-Gomez, and David L. Dilcher. PNAS, Semaine du xx décembre 2012.

CNRS

 

Débâcle glaciaire et élévation du niveau marin

 

La grande débâcle glaciaire redatée

« Pour La Science » – Avril 2012 – François Savatier
 
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© CEREGE / Edouard Bard
L’analyse des coraux tahitiens depuis la dernière glaciation suggère qu’il y a environ 14 500 ans, une fonte massive des calottes glaciaires antarctiques a élevé le niveau des océans de 14 mètres en moins de 350 ans.
 

Cent trente mètres en moins de 15 000 ans : le niveau des mers est beaucoup remonté depuis le dernier maximum glaciaire. Petit à petit ou par sauts ? Après avoir foré à Tahiti, Pierre Deschamps et ses collègues du CEREGE (Université d’Aix-Marseille) et des Universités d’Oxford et de Tokyo ont établi une nouvelle courbe des variations du niveau marin depuis la dernière glaciation : elle confirme qu’une remontée catastrophique du niveau des océans a bien eu lieu il y a 14 500 ans.

Cet événement est noté MWP-1A (de l’anglais Melt Water Pulse). Pour le reconstituer, les chercheurs ont effectué 37 forages dans le récif de Tahiti. Les coraux tropicaux vivant à faible profondeur, ils constituent en effet d’excellents indicateurs de l’évolution au fil du temps du niveau de la surface de l’océan. P. Deschamps et ses collègues ont daté ces coraux en s’appuyant sur la transformation radioactive de l’uranium 234 en thorium 230, et montré qu’entre 14 650 et 14 400 ans, une gigantesque débâcle glaciaire s’est déclenchée, qui a fait monter le niveau des océans de 14 à 18 mètres en moins de 350 ans, soit au minimum 4 mètres par siècle !

Auparavant, deux scénarios concouraient pour placer le MWP-1A dans l’histoire du climat. Le premier découle d’une reconstitution des niveaux marins obtenue à partir des coraux de la Barbade, dans les Caraïbes. Ces données suggéraient d’une part que la débâcle s’était déclenchée plus de cinq siècles plus tard, il y a 14 000 ans ; d’autre part qu’elle était surtout due à la fonte des calottes de l’hémisphère Nord, et tout particulièrement de celle qui recouvrait le Nord de l’Amérique. Mais ce scénario a des faiblesses : les modèles géophysiques indiquent par exemple que la fonte de la calotte nord-américaine modifierait assez le champ gravitationnel terrestre pour que la montée des eaux soit inférieure de 40 pour cent à la Barbade. Or les forages de Tahiti montrent le contraire : la montée des eaux pendant le MWP-1A est comparable autour des deux îles. Cela renforce le second scénario, selon lequel les calottes antarctiques ont contribué au moins autant que la calotte nord-américaine à la débâcle du MWP-1A.

Or la nouvelle datation de cet événement à 14 650 ans le fait coïncider avec le Bølling, un épisode de réchauffement rapide de l’hémisphère Nord. En revanche, dans la reconstitution des niveaux marins successifs réalisée à la Barbade, le Bølling précède le déclenchement du MWP-1A. Si la nouvelle datation est la bonne, seule une réorganisation de la circulation thermohaline (dont le Gulf stream est un exemple) expliquerait le réchauffement dans l’hémisphère Nord, puis la fonte des calottes nordiques. Cette hypothèse ne sera cependant confirmée que le jour où les preuves géologiques de la contribution de l’Antarctique au MWP-1A auront été obtenues sur le continent blanc, ce qui n’est pas encore le cas.

Seule chose sûre : les calottes de glace ne réagissent pas de façon linéaire aux changement climatiques. La remontée du niveau marin n’est donc pas proportionnelle à l’élévation de la température moyenne à la surface de la Terre. L’histoire récrite du MWP-1A illustre au contraire l’existence de puissants effets de seuil. Alors que l’activité humaine fait grimper sensiblement la température moyenne de l’atmosphère, il faudrait donc se méfier de possibles débâcles à venir.