Les étapes de la sortie géologique
Guide : Yves Cyrille, Géologue et Directeur de la Maison des minéraux de Crozon (29)
Auteur : Jean CHAUVET
Cadre géographique de la sortie
Localisation des sites de la sortie géologique
1ère partie
Samedi 8 septembre 2012
1. Le Port de Trozoul à Trébeurden : Présentation des étapes de l’excursion
Yves Cyrille présente le Complexe granitique de Ploumanac’h
Carte géologique simplifiée du Complexe granitique de Ploumanac’h
Situé dans le coin Nord-Ouest du Trégor, entre Trébeurden et Perros-Guirec, le complexe granitique de Ploumanac’h, constitue non seulement l’un des plus beaux sites naturels de France mais aussi l’un des ensembles géologiques nationaux des plus remarquables.
Cet ensemble granitique, relativement jeune dans l’histoire géologique du Massif armoricain, recoupe le socle ancien du Trégor (gneiss icartien de Trébeurden à 2 milliards d’années et granite cadomien de Perros-Guirec à 615 millions d’années) ainsi qu’une formation gréso-pélitique non datée, la Formation de l’Île Milliau.
La cartographie du complexe granitique de Ploumanac’h, livrée en 1976 par Michel Barrière, montre une remarquable disposition des différents ensembles lithologiques en auréoles concentriques résultant de l’intrusion successive de trois corps magmatiques : granite rose à gros grains, granite rose à gris à grains fins, granites gris à grains fins de l’île grande.
Plusieurs sites côtiers montrent des relations entre ces roches granitiques et des roches basiques (ex : gabbros de la Baie de Sainte-Anne).
Bloc de gneiss icartien ( 2 milliards d’années) récolté à Pors-Raden – Trébeurden
2. L’éperon du Castel et le sud de l’Île Milliau : le contact entre le massif granitique et son encaissant sédimentaire
Progression sur les blocs de granite à gros grains de la grève de l’éperon du Castel
Granite rose à gros grains
Sur la grève de l’éperon du Castel et au sud de l’île de Milliau, on peut observer le contact entre le granite intrusif (granite rose à gros grains) et les roches sédimentaires encaissantes (grauwackes et arkoses) qu’il recoupe à l’emporte-pièce. Ces dernières, métamorphisées par le contact du magma granitique chaud lors de sa mise en place (il y a 300 Ma, vers 8 km de profondeur), ont été transformées en roches très dures nommées cornéennes alumineuses.
Lorsque les structures des lits sédimentaires sont bien conservées, les cornéennes présentent un aspect rubané.
Le caractère intrusif du granite s’exprime également dans la présence, sur la bordure du massif, d’enclaves de cornéennes arrachées à l’encaissant.
Les cornéennes sont des roches métamorphiques très dures, à cassure d’aspect corné, à trame de cristaux d’andalousite, avec des petits cristaux de quartz, de micas, de cordiérite…
Cornéennes sombres engendrées par un métamorphisme de contact entre le magma granitique et les roches sédimentaires encaissantes
Inclusion de cornéenne dans le granite rose à gros grains
Île Milliau vue de l’éperon du Castel
Cornéennes rubanées au sud de l’Île Milliau (inacessibles vu la marée – photo Guide géotourisme)
3. La Presqu’île de Toénot : trois types de granite, des intrusions granitiques successives
Le contournement de la Presqu’île de Toénot permet d’observer, sur un espace relativement réduit, les trois types de granites constitutifs du massif de Ploumanac’h ainsi que leurs relations géométriques témoignant de la chronologie relative de mise en place des magmas.
Parcours sur le flanc sud de la presqu’île
Sur le flanc sud de la Presqu’île de Toénot, on peut observer le contact entre 2 granites :
– le granite externe rose à gros grains,
– le granite intermédiaire à grains fins, de couleur gris-rosé. Il contient les feldspaths microcline et plagioclase, du quartz et de la biotite.
Granite rose à gros grains de type « La Clarté »
Granite rose à grains fins
Le granite à grains fins contient des enclaves du granite à gros grains, lui-même contenant des enclaves basiques sombres, ce qui montre l’antériorité de mise en place de ce dernier. Ces enclaves sont anguleuses et leur contour est rectiligne. Ceci veut dire que le granite à gros grain était totalement refroidi et solidifié lorsque le granite à grains fins s’est mis en place, en force, sous pression.
Enclaves de granite à gros grains et de roche basique dans le granite intermédiare rose à grains fins
Enclave de granite à gros grains dans le granite intermédiaire
Sur la façade Ouest, quelques filons de kersantite, roche magmatique sombre, microgrenue, riche en mica noir, peuvent être observés dans les enclaves de granite à gros grains. Ils sont donc postérieurs à celui-ci et antérieurs à la mise en place du granite intermédiaire.
Estran et falaise de l’Ouest de la presqu’île
Filon de kersantite dans le granite rose à gros grains
Le groupe de l’AVG progressant vers le nord de la Presqu’île de Toénot
Au nord-est de la presqu’île, un nouveau contact entre 2 granites peut être observé, mais cette fois-ci entre le granite intermédiaire et un granite gris clair : le leucogranite de l’Île-Grande qui, lui, ne contient pas d’enclaves.
Une ancienne petite exploitation littorale au nord-est de la presqu’île permet de bonnes observations. Des amas sombres correspondent à de la cordiérite totalement pinitisée (mélange de micas, de chlorite et de quartz).
Le granite gris clair de l’Île-Grande ( leucogranite) au niveau d’une carrière littorale
Le granite gris clair de l’Île-Grande ( leucogranite)
L’une des particularités de ce leucogranite est de présenter deux variétés de micas :
– un mica de couleur noir mordoré, riche en fer : le mica noir ou biotite ;
– un mica blanc nacré : le mica blanc ou muscovite.
Ce granite gris clair se caractérise également par des amas sombres correspondent à de la cordiérite totalement pinitisée (mélange de micas, de chlorite et de quartz).
Amas sombre de cordiérite pinitisée au sein du leucogranite, observé à la loupe
Des intrusions granitiques successives
La coupe géologique du massif granitique de Ploumanac’h permet de mieux comprendre les intrusions successives des trois principaux types de granite que l’on observe sur la Presqu’île de Toénot.
Coupe géologique simplifiée du massif granitique de Ploumanac’h ( d’après M.Barrère )
1. Dans un premier temps, le granite rose externe à gros cristaux se met en place pour constituer l’essentiel du massif, au contact direct avec les roches métamorphiques encaissantes que l’on peut observer à Pors Raden, à l’Île Milliau et au Ranolien (voir sites n° 1, n° 2 et n° 9). La formation de ce granite est associée à celle des roches basiques (gabbros) bien visibles à Trégastel, au fond de la baie de Sainte-Anne (site n° 6).
2. Au cours d’une deuxième étape, un granite intermédiaire moins rosé et à grains plus fins s’injecte dans cette première masse de granite rose déjà refroidi, formant dans le massif une sorte de couronne intermédiaire.
3. Dans un troisième temps , une lame constituée de deux variétés de granites internes, gris clair, vient occuper le centre du massif.
4. L’Île Grande : les 2 types de granites internes et leur exploitation
A l’Ouest et au Nord de l’Île Grande, le rivage est très fortement entaillé de nombreuses excavations qui témoignent de l’intense exploitation du granite, du début du 20ème siècle à la fin des années 1940. L’exploitation du granite y est totalement abandonnée depuis 1989.
Ancienne carrière littorale de granite
Ces zones d’extraction entament, sur une dizaine de mètres de hauteur, un granite gris-blanc à grain relativement fin, particulièrement riche en muscovite qui voisine avec un autre mica, la biotite. Ce granite gris clair à deux micas est qualifié de leucogranite.
Il est relativement homogène, ne montrant pas d’enclaves des granites rencontrés précédemment. Sa composition minéralogique est la suivante : quartz, microcline, plagioclase (albite à oligoclase), biotite, muscovite, cordiérite. Ces deux derniers minéraux attestent du caractère hyperalumineux de la roche et de son origine crustale ( magma issu de la fusion de la croûte terrestre) . Apatite, zircon et tourmaline complètent la minéralogie.
Granite à 2 micas de l’Île Grande, observé à la loupe
De nombreux blocs de granite à deux micas, de toutes dimensions, jonchent l’estran. Modelés par l’érosion marine en énormes galets, rassemblés en cairns, ils contribuent au pittoresque du paysage côtier au voisinage de la carrière de Castel-Erek.
Accumulation et assemblages insolites de gros galets de granite
A l’Ouest, à quelques centaines de mètres de la maison de la LPO, l’ancienne carrière de Castel-Erek, ennoyée et isolée du large par un mur épais, entame un granite gris-bleuté à un seul mica, la biotite.
Ancienne carrière de Castel-Erek et maison de la Ligue de la Protection des Oiseaux ( LPO)
Granite gris-bleuté à un seul mica, la biotite
Le contact entre les deux granites de l’Île Grande peut s’observer à marée basse sur le platier rocheux en contre-bas du mur de la carrière de Castel Erek. Vertical, il est sinueux, lobé, ce qui montre que le granite externe à 2 micas recoupe le granite interne à biotite et ce qui dénote un milieu encore chaud et plastique.
Carrière littorale de granite gris-bleuté à biotite
2ème partie
Dimanche 9 septembre 2012
5. Grève blanche et Grève rose ( Trégastel ) : enclaves au sein du granite
La Grève blanche
Extrémité occidentale de la Grève blanche
Exposé d’Yves Cyrille sur les inclusions de gabbro dans la masse granitique
Présentes à différents endroits du massif de Ploumanac’h, les enclaves de roches qui apparaissent dans la masse granitique sont bien visibles sur les nombreux affleurements rocheux que l’on peut rencontrer depuis la Grève Blanche jusqu’à la Grève Rose.
Les enclaves de gabbros de la Grève blanche
À l’extrémité occidentale de la Grève Blanche, les enclaves de teinte sombre, sphériques ou ovoïdes, le plus souvent de petite taille , sont accompagnées de quelques filons de même nature. Elles sont constituées de gabbro, roche magmatique à composition basique qui affleure beaucoup plus largement dans le fond de la baie de Sainte- Anne (site n°6).
La mise en place de ses enclaves de gabbros s’est effectuée en association étroite avec le granite sans aboutir à un véritable mélange entre le magma granitique et le magma basique.
Enclaves sombres de gabbro dans la masse granitique
Filons rectilignes sombres de gabbro dans la masse granitique
3ème partie
Architecture et formation du Complexe granitique de Ploumanac’h
Carte géologique simplifiée du Complexe granitique de Ploumanac’h
L’architecture du massif
Le massif de Ploumanac’h présente, en coupe, la forme d’un tronc de cône, entonnoir profond à section elliptique. Son architecture complexe résulte de l’emboîtement de trois groupes magmatiques intrusifs mis en place successivement.
– 1er groupe magmatique : les magmas des granites à gros grain (exemple : granite de la Clarté) et des roches basiques injectées simultanément (exemple : gabbros de Sainte-Anne), ces dernières formant au Nord du massif une masse importante située en profondeur.
– 2ème groupe magmatique : les magmas des granites divers à grain fin formant des dykes (lames épaisses) verticaux, de larges feuillets horizontaux et des filons qui occupent une large fraction centrale.
– 3ème groupe magmatique : les magmas des granites à grain moyen (granites de l’Île Grande) formant une cloche asymétrique au centre de l’unité précédente.
Esquisse interprétative synthétique de l’architecture du complexe de Ploumanac’h (d’après Barrière, 1976)
Les différentes étapes de mise en place
Le complexe de Ploumanac’h se met en place à la fin de l’ère primaire (Paléozoïque) autour de -300 millions d’années, c’est-à-dire en fin d’édification de la chaîne hercynienne (dont le Massif Armoricain).
Première étape
Fracturation conique annulaire de la croûte terrestre avec individualisation d’un panneau qui, soit par effondrement dans le réservoir magmatique, soit par refoulement vers le haut à la manière d’un piston, permet l’intrusion des magmas des granites roses à gros grain accompagnés de roches basiques (gabbros au sens large).
Cette première venue magmatique s’accompagne de fractures qui sont nourries de magmas à l’origine de granite à gros grain, de granite à grain moyen, d’aplites et de pegmatites qui recoupent le premier corps magmatique et le socle.
Deuxième étape
Fracturation de la première unité dans ses parties centrale et méridionale permettant l’intrusion des magmas des granites du groupe intermédiaire qui se disposent selon les fractures en puissants feuillets horizontaux ou obliques, en dykes verticaux.
Ainsi se trouve réalisée une mégabrèche avec d’immenses blocs de granite rose cimentés par les granites intermédiaires.
Troisième étape
Mise en place des granites gris de l’Île-Grande à la faveur d’une nouvelle fracturation, selon une structure filonienne circulaire qui recoupe les granites intermédiaires.
Genèse des magmas du complexe
Les mécanismes de genèse des magmas à l’origine de la formation du complexe granitique de Ploumanac’h ne sont pas encore connus avec précision et font encore l’objet de discussions entre spécialistes.
Le scénario suivant peut néanmoins être proposé :
1- Remontée dans la croûte d’une intrusion de magma basique. Celui-ci va se différencier en donnant des liquides de plus en plus acides qui, en se mélangeant avec la croûte environnante (hybridation), vont aboutir à la formation des granites externes roses puis à celle des granites intermédiaires.
2- La très forte température du magma basique intrusif induit la fusion partielle de la croûte terrestre dans laquelle il se met en place. Ainsi se trouve expliquée la naissance des granites hyperalumineux de l’Île-Grande qui occupent la partie centrale de l’édifice.
Le complexe de Ploumanac’h correspond à un mélange dans des proportions différentes d’un composant purement issu du manteau (les roches basiques) et d’un composant purement issu de la croûte terrestre (les granites à muscovite et cordiérite).
Au fur et à mesure de la formation du complexe, les intrusions successives montrent une prépondérance des constituants de la croûte terrestre sur les constituants du manteau.
Quel est le contexte géodynamique qui a permis cette remontée du magma basique ?
Deux hypothèses peuvent être évoquées :
a- apparition d’une série de points chauds au sein de l’édifice hercynien.
b- formation d’un grand accident tectonique affectant la croûte et une parte du manteau sur 100 à 150 kilomètres de profondeur, induisant la fusion partielle du manteau péridotitique.
Bibliographie :
« Joyau géologique du Trégor, le magmatisme composite du complexe granitique de Ploumanac’h » par Jean Plaine
http://ens.univ-rennes1.fr/geologie/granite-ploumanach/