Une nouvelle ère géologique liée à l’impact de l’Homme ?

 

Une ère géologique dont l’homme serait le héros ?

 Par  Tristan Vey – Le Figaro – publié le 21/10/2011

 

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L’idée lancée en 2002 par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen d’adapter la classification géologique du temps pour prendre en compte l’impact de l’homme sur son environnement fait doucement son chemin.

En 2002, le prix Nobel de chimie Paul Crutzen publiait dans Natureune tribune dans laquelle il appelait à donner un nouveau nom géologique à l’époque que nous vivons. Pour lui, l’Holocène, démarré il y a environ 11.800 ans, est révolu: nous avons basculé dans «l’Anthropocène», une époque caractérisée par l’influence prépondérante de l’homme sur son environnement. Les géologues, conservateurs par nature, ont d’abord accueilli cette idée avec une extrême circonspection. Depuis, les choses ont un peu évolué. La proposition de Crutzen a fait suffisamment de chemin pour que la société américaine de géologie baptise en 2011 sa conférence annuelle, qui s’est tenue cette semaine à Minneapolis, «De l’archéen à l’anthropocène, le passé est la clé du futur».

En 2009 déjà, la Commission internationale de stratigraphie (CIS), chargée de statuer sur la définition des temps géologiques, avait concédé que l’idée avait «certains mérites». Elle avait donc chargé le Dr JanZalasiewicz de monter un groupe de travail pour plancher sur la question. Pour que les géologues acceptent de modifier leur très stable chronologie, il faut répondre positivement à deux questions fondamentales. La première : les changements géologiques sont-ils assez profonds pour différencier un avant et un après ? La seconde : est-il utile pour la connaissance de formaliser ce basculement par une nouvelle dénomination?

L’activité humaine inscrite dans la glace

Les travaux préliminaires du groupe de travail, rendus public en février 2011, recensent les modifications profondes de l’environnement liées à l’activité humaine qui pourraient laisser des traces durables. À commencer par l’augmentation depuis la fin du 18e siècle de la teneur en dioxyde de carbone contenue dans l’air. Cette évolution, liée à l’apparition des machines à vapeur, est inscrite dans les glaces polaires. La célèbre carotte de glace de Vostok, en Antarctique, l’a clairement démontré. Pour les palynologistes (qui étudient l’histoire passée des pollens), les changements d’usage des terres laisseront également une marque distinctive. Sans parler des futurs fossiles: 90% des vertébrés sont des hommes ou des animaux domestiques, contre 0,1% il y a 10.000 ans.

Concernant les changements inscrits dans la roche, les plus fondamentaux pour les géologues, ils pourraient se manifester de plusieurs façons. Le carbone issu des ressources fossiles laissera vraisemblablement une marque particulière dans les couches géologiques, de même que les éléments radioactifs dispersés par les essais nucléaires du 20e siècle. Certaines villes de bord de mer pourraient laisser une empreinte durable si elles sont recouvertes de sédiments. L’activité minière provoque également une érosion très importante, comparable à celle des glaciers.

«Le vrai problème, c’est que nous y sommes»

Patrick De Wever, membre de la société française de géologie, reste toutefois sceptique. «Deux cents ans, à l’échelle géologique, ce n’est rien», soutient-il. «Nous modifions notre environnement, c’est certain, mais de là à en faire une époque géologique, c’est prématuré. Dans 40 millions d’années, nous verrons.» La position de Stanley Finney, actuel président de la CIS, n’est pas très différente. «Beaucoup des impacts visibles (de l’activité humaine, ndlr) pourraient être effacés par l’érosion», estime-t-il.

De toute évidence, il ne sera pas évident d’obtenir un consensus chez les géologues. Le groupe de travail sur l’anthropocène rendra ses conclusions définitives en 2016 à l’occasion du Congrès international de géologie en Afrique du Sud. Pour Claude Lorius, éminent glaciologue français, «il n’est pas si important que les géologues acceptent ou non de définir une nouvelle époque». «Le vrai problème, c’est que nous y sommes. L’avenir de l’environnement dans lequel on vit est préoccupant et trop peu de gens semblent en avoir conscience.»