Archives de catégorie : Articles

Un forage de 11km de profondeur dans le golfe du Lion

 

        Un forage de 11 km de profondeur         pour étudier les variations du climat

 Le Monde –  17.01.12

 

Un projet envisage un forage de plus de 11 km sous la surface de la mer méditerranée, au sud de la zone étudiée par Melrose et Noble Energy.

AFP/DAVID MCNEW MARSEILLE ENVOYÉ SPÉCIAL . 

2012.01.16.Le Monde un-projet-envisage-un-forage-de-plus-de

Alors que les projets des compagnies pétrolières suscitent l’inquiétude des écologistes provençaux, un programme scientifique de forage, sans précédent, est à l’étude dans le golfe du Lion. Coordonné par une paléoclimatologue de l’université de Bretagne-Occidentale, Marina Rabineau, il envisage un forage de plus de 11 km sous la surface de la mer, au sud de la zone étudiée par Melrose et Noble Energy. Dénommé Gold (Gulf of Lion’s Drilling), son but est d’effectuer le premier forage profond dans le golfe du Lion, au large de Toulon, « afin d’étudier les variations du climat global et celles du niveau marin, les événements géologiques extrêmes comme le Messinien, les ressources naturelles, le stockage du CO2, et la biosphère profonde », explique Mme Rabineau.

Un bateau spécialisé japonais, le Chikyu, extrairait une carotte de 11 km, constituant une colonne complète des sédiments qui se sont accumulés dans cette zone depuis 25 millions d’années. Le forage atteindrait le socle sous-jacent, dont la nature géologique est mal connue. A l’endroit prévu pour le forage, la « colonne sédimentaire est complète, non déformée et sans érosion ni hiatus majeur », précise la scientifique. Il s’agit donc d’un témoin privilégié de l’histoire géologique du bassin ouest de la Méditerranée.

Mais l’intérêt pour les ressources pétrolières n’en est pas absent. En effet, le forage traversera une couche de sel. Jusqu’à récemment, les modèles géologiques dominants indiquaient que l’on ne pouvait pas trouver d’hydrocarbures dans une telle configuration géologique. La découverte au large du Brésil, en 2006, d’énormes réserves de pétrole sous une couche de sel, a changé la donne : les géologues qui défendaient la possibilité d’une telle configuration sont davantage écoutés. Daniel Aslanian est l’un d’eux. Chercheur à l’Ifremer, il est associé au projet Gold : « On propose un nouveau modèle, qui repense la formation des marges continentales passives, comme celles qui bordent l’Atlantique sud ou la Méditerranée. Il s’agit de le tester dans le golfe du Lion. La possibilité de trouver des hydrocarbures sous la couche de sel suscite l’intérêt des compagnies pétrolières pour le projet Gold. Lors d’un colloque sur ce projet en octobre 2011, à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), des spécialistes de Pétrobras et de Melrose ont présenté des communications. « Ce type de forage est très coûteux, indique M. Aslanian, de l’ordre de 130 à 180 millions d’euros. Les compagnies pétrolières peuvent aider à le financer. » Pour l’instant, aucune ne s’est encore engagée. Mais la société algérienne Sonatrach est intéressée par un forage du même type côté algérien, où la structure géologique est comparable. Elle pourrait s’engager pour près de 90 millions d’euros. Le projet Gold sera présenté en avril à l’ntegrated Ocean Drilling Program, un programme international de recherche sur l’histoire de la Terre à partir des études sur les fonds marins. Si le projet est accepté, et son budget bouclé, le forage pourrait intervenir dans les deux ou trois prochaines années.

Hervé Kempf – Article  du 17.01.12

Dioxyde de carbone et prochaine glaciation

 

Notre CO2 reporte la prochaine glaciation

  Le Monde 11.01.2012 – Blog de Pierre Barthélémy

Scrat, l’écureuil malchanceux de L’Age de glace, risque d’attendre bien longtemps avant de pouvoir de nouveau enfouir ses glands chéris dans l’inlandsis de la prochaine glaciation. Celle-ci pourrait bien ne pas se produire de sitôt. Pourtant, son heure semblait jusqu’ici approcher. Il y a déjà 11 600 ans que la Terre est entrée dans l’Holocène, l’actuelle époque géologique qui est un interglaciaire. Cette période aux températures plus clémentes a favorisé l’expansion rapide de notre espèce  et son fulgurant développement technologique. Or, si l’on s’en réfère aux derniers exemples en date, ce pic chaud dure 11 000 ans en moyenne. Notre « saison » douce devrait donc toucher à son terme, si l’on ne s’en tenait qu’à l’arithmétique.

Cela dit, plusieurs éléments peuvent modifier la durée « standard », comme la quantité de CO2 présent dans l’atmosphère ou, plus encore, les paramètres astronomiques. Comme l’a en effet montré il y a soixante-dix ans le savant serbe Milutin Milankovitch, ce sont les variations de la position de la Terre par rapport au Soleil qui engendrent les cycles glaciation-interglaciaire, nommés cycles de Milankovitch. Dans la liste des causes on recense ainsi l’excentricité de l’orbite terrestre, laquelle est plus ou moins elliptique selon les époques, l’inclinaison de l’axe de rotation de notre planète par rapport au plan dans lequel elle se déplace, et, enfin, un phénomène connu sous le nom de précession des équinoxes. Il s’agit d’un mouvement lent de l’axe de rotation de la Terre, que l’on compare généralement à celui de l’axe d’une toupie qui tourne (c’est en raison de ce mouvement que l’étoile Polaire a changé au cours de l’histoire). Il faut prendre en compte toutes ces variations pour calculer la quantité de chaleur que nous recevons de notre étoile.

L’arrivée d’une glaciation n’est donc pas réglée comme du papier à musique et pour qui veut en déterminer la date, la tâche est ardue. Dans une étude publiée le 8 janvier par Nature Geoscience, une équipe internationale a, pour y parvenir, choisi une voie empirique : chercher, dans les « archives » climatiques, combien de temps a duré l’interglaciaire du passé qui ressemble le plus au nôtre tant par ses composantes astronomiques (évaluées par un modèle numérique) qu’atmosphériques. Les chercheurs ont évidemment mis entre parenthèses la teneur en CO2 mesurée aujourd’hui (390 parties par million) et s’en sont tenus à la valeur pré-industrielle (280 ppm). Grâce aux carottages effectués dans les glaces de l’Antarctique mais aussi dans les sédiments marins, les principales caractéristiques de l’atmosphère sont connus sur les 800 000 dernières années, ce qui donne un large éventail d’événements interglaciaires.

C’est un des plus anciens sur la liste qui a été retenu. Le candidat présentant le plus de similarités sur le plan astronomique et sur celui des signaux paléoclimatiques s’est en effet avéré être un épisode survenu il y a environ 780 000 ans. Or cet interglaciaire ancien aurait au maximum duré 12 500 ans. Ce qui, si la comparaison est bonne, nous laisse un petit millier d’années avant de voir la calotte glaciaire descendre sur le nord de l’Europe, le niveau des mers baisser de plusieurs dizaines de mètres ? au point de pouvoir traverser la Manche et le détroit de Béring à pied sec ? et la toundra gagner le Médoc…

Ce serait néanmoins oublier un facteur important : le dioxyde de carbone. Car pour que la glaciation s’enclenche, les chercheurs estiment que le taux atmosphérique de CO2 ne doit pas dépasser les 240 ppm. Nous sommes loin du compte et il faut aussi noter que la valeur pré-industrielle est également supérieure à cette barre, ce qui pourrait indiquer que, même avant le début de l’utilisation massive des combustibles fossiles au XIXe siècle, les activités humaines (agriculture, élevage, déforestation) avaient déjà modifié la composition de l’atmosphère et la machine climatique. Quoi qu’il en soit, avec nos 390 ppm de CO2 actuelles, nous avons une bonne assurance contre le retour de l’âge de glace : même en coupant net (et définitivement) toute émission de dioxyde de carbone, il faudrait probablement des siècles voire davantage pour que la nature absorbe ce surplus de carbone et que l’on revienne ne serait-ce qu’à la valeur pré-industrielle.

A la publication de cette étude de Nature Geoscience, quelques-uns, comme le blogueur climatosceptique américain Anthony Watts, se sont donc réjouis : enfin une conséquence positive de l’augmentation des gaz à effet de serre et du réchauffement climatique ! Il est certain que la perspective du retour à la glaciation n’enchante personne, notamment en raison de son impact désastreux sur l’agriculture. Néanmoins, voir le changement climatique à travers ce seul prisme est un contresens majeur. Pour Luke Skinner, de l’université de Cambridge (Royaume-Uni) et un des auteurs de l’étude, qui est interrogé par la BBC, « c’est un intéressant débat philosophique ? Serions-nous mieux dans un monde chaud [de type interglaciaire, précise la BBC] que dans une glaciation ? et il est probable que oui. Mais c’est ne pas comprendre l’enjeu, parce que ce vers quoi nous nous dirigeons, ce n’est pas vers le maintien de notre climat actuellement chaud, c’est vers un climat qui se réchauffe encore plus, et ajouter du COà un climat chaud est très différent que d’en ajouter à un climat froid. » Si l’humanité a voulu mettre un peu de chauffage pour prévenir l’hiver glaciaire, elle a poussé le bouton du thermostat trop loin. Cela a deux conséquences. La première est purement académique et d’impact limité : il devient très compliqué de prévoir la date d’arrivée de la prochaine glaciation. La seconde conséquence constitue la conclusion de l’étude : même si la Terre se retrouve bientôt dans une configuration astronomique favorable à une glaciation, cela ne modèrera pas pour autant les effets du réchauffement climatique induit par les activités humaines.

Pierre Barthélémy

 

NB : Pour en savoir plus , cliquer sur les mots et expressions colorés en bleu.

(Crédit image : Twentieth Century Fox.)