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Le Marais Poitevin …transformé par l’homme

 

Le Marais Poitevin … transformé par l’homme

 Auteur : Pierre Gibaud

29 marais mouillé

1. Situation  

 11Carte de France

12 carte

C’est la seconde zone humide de France après la Camargue. La superficie est d’environ 100 000 ha dont l’altitude est comprise entre 0 et 6 m.

Contrairement à la Hollande, aucun sol est à une altitude négative.  

13 Altitude zéro

La moitié est en Vendée, un quart en Deux-Sèvres et un autre quart en Charente Maritime.

Le bassin versant, grand comme un département, est environ 7 fois plus vaste que le marais et majoritairement situé en Vendée. 

14 bassin versant

 

2. Formation du marais

Pendant la dernière glaciation,  il y a 20 000 ans, le niveau des océans était 120 m plus bas.  

21 moins120

Lors du réchauffement, la fusion des glaces continentales a fait monter ce niveau.

A la rencontre des eaux boueuses de la Sèvre Niortaise et de ses affluents avec l’eau salée marine, les argiles fluviales ont précipité pour former un sol en argile grise, appelé « bri ».

Quand le niveau s’est stabilisé au tout début de l’époque romaine, la végétation a envahi ce sol avec des espèces caractéristiques des eaux plus ou moins saumâtres selon les époques, les saisons, et les marées. L’accumulation des débris végétaux en décomposition donne finalement un sol noir formé d’un complexe argilo-humique très fertile.

L’analyse des pollens permet de décrire précisément les différents climats successifs.  

22 sol

Vers l’an mil, la température du globe a augmenté considérablement.

23 Tmédiévale

Les récoltes plus abondantes ont entraîné une forte augmentation de la population. Pour la nourrir, on a décidé alors de défricher intensément les landes du bocage et d’assécher le marais poitevin.

La côte et la baie de l’Aiguillon sont toujours en évolution, voici la preuve sur  300 ans.

24 Lay-Dive

L’avant dernier trait blanc en bas montre que la pointe d’Arçay et La Faute n’existaient pas il y a seulement 3 siècles. Le courant côtier descendant y amène 300 000 m3 de sable par an  !

Le marais poitevin actuel résulte de la conquête progressive et méthodique de cet espace occupant l’ancien Golfe des Pictons.

Le marécage naturel et sauvage est devenu une contrée très fertile au prix de travaux complexes et jamais achevés définitivement.

25 marais sauvage

Dans le Marais Poitevin, on distingue 4 types de paysages :

  • Les terres « hautes » des îles  : altitude inférieure à 20 m.

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  • La frange maritime : les prés salés, inondés aux grandes marées.

27 prés salés

  • Les marais desséchés sans arbres et réservés à la grande culture mécanisée.

28 marais desséché

  • Les marais mouillés, inondables, sur une surface sillonnée de canaux.  

 29 marais mouillé

 

3. Historique des travaux

    3.1 Au temps de moines de 1050 à 1350 

L’objectif est de créer des terres agricoles propices à la culture du blé, l’aliment de base.

Pour assécher le marais, il a fallu le mettre à l’abri des fortes marées et des crues fluviales. Voici l’opération en  4 étapes : 

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La réalisation des digues et des canaux coûte cher. Aussi 5 abbayes du Poitou vont s’unir pour réaliser le projet : St Michel-en-l’Herm, Nieul-sur-l’Autise, Maillezais, L’Absie, St Maixent.

La « porte à flot » fut une invention remarquable  (le plus vieux plan date de 1243). Le fonctionnement est automatique. Elle  arrête la marée montante salée mais laisse sortir l’eau douce des canaux de dessèchement quand la marée est basse. 

315 Porte à flot

316 porte à flot

317 porte à flot

Vers 1300, on a creusé la Jeune-Autise pour relier Maillezais à la mer via la Sèvre. 

318 jeune Autise

Juste avant la guerre de Cent ans, la zone desséchée et mise en culture occupait           8 000 ha. 

319 moines

 

La montée des eaux due au réchauffement climatique, puis la désastreuse guerre de cent ans et  la grande peste vont laisser à l’abandon les dessèchements créés par les abbayes.

    3.2 Henri IV qui a longuement guerroyé dans ces contrées, a eu l’idée d’assécher ces marais abandonnés.

321 Henri 4 à Coulon 

En 1599, il confie au hollandais Humphrey Bradley, la charge d’assécher tous les marais du Royaume avec exclusivité sur les revenus qui en découlent pendant 25 ans.

En Bas-Poitou, Bradley a seulement rétabli les canaux des moines, en évitant les autres projets estimés trop coûteux et dont la rentabilité était trop lointaine.

    3.3 Louis XIIInomme Pierre Siète, successeur de Bradley pour assécher les marais de l’Ouest. Cet ingénieur de La Rochelle multiplie les dessèchements les plus faciles (marais de Taugon-La Ronde rive gauche de la Sèvre Niortaise) et surtout en 1646, il crée la « Société du Petit Poitou » avec à sa tête un directeur, assisté d’un secrétaire-archiviste et d’un caissier-comptable, avec l’obligation de réunir une assemblée générale annuelle de tous les membres. C’est l’ancêtre de la loi de 1901 sur les associations !  

331 Petit-Poitou

Cette structure est pérenne puisque de nos jours il subsiste encore 41 « syndicats » des marais dont les statuts sont inspirés par ceux du Petit-Poitou !

332 Syndicats

Le directeur nomme un contremaître : le « maître des digues » qui dirige les divers travaux.

Pour créer une zone cultivable, il faut séparer le futur marais desséché de la zone « mouillée » en créant une « levée » ou « bot ». Pour cela, on creuse deux canaux proches et parallèles.

La terre extraite forme un talus étanche entre les deux canaux. 

333 levée 1

Le canal intérieur au périmètre desséché va à la mer via une porte à flot. Le canal extérieur ou « contre-bot » va aussi à la mer ou dans la Sèvre et contribue à évacuer les eaux  fluviales.

    3.4 Louis XIV verra le dessèchement du marais rive droite, le plus difficile à réaliser.

En effet la Vendée et l’Autise ont des crues redoutables car leur bassin versant est vaste et situé sur le sol imperméable de la gâtine vendéenne, schisteuse ou granitique.

Si le marais desséché de Vix- Maillezais est semé en blé, ce dernier va pourrir dès la première crue. Il faut donc séparer de façon étanche les eaux du canal de Vix servant au dessèchement d’avec les trois rivières : Vendée, Vieille Autise et canal de la Jeune Autise

Vers 1660, la solution fut trouvée par Blaise Pascal spécialiste d’hydraulique et actionnaire.

Le canal de Vix passe en siphon (au-dessous) de ces trois rivières,  ici à Maillé.

340 siphon

341 pieux foncés

342 pilotis

De même au « gouffre » de l’Ile d’Elle, la Vendée se jette dans un bras de la Sèvre Niortaise juste après avoir croisé le canal de Vix en passant au-dessus.

Le problème de la séparation des eaux étant résolu, il ne reste plus qu’à mettre en culture ces sols devenus « agricoles ». Jusqu’à la Révolution, les aménagements et les extensions complémentaires vont se succéder. 

    3.5  Le 19ème  siècle 

Napoléon, général d’infanterie, ne connaissait pas grand chose à la mer. Pour éviter la redoutable marine anglaise, Napoléon eut l’idée de favoriser la navigation fluviale et en particulier il décida une liaison de La Rochelle à Niort. Par le décret de Bayonne du 23/12/1808, il décide d’abord de rendre la Sèvre Niortaise navigable de Marans à Niort. Des méandres doivent être coupés et le gabarit des canaux et des écluses est codifié. 

351 Ecluses

352 méandres

353 la Sotterie

Puis le canal de La Rochelle à Marans sera creusé par des forçats pendant 70 ans.Hélas, à peine achevé, il fut concurrencé par le chemin de fer construit sur les déblais !

354 Banche siphon

355 canal de Marans à L R 3 

356 canal Marans LR 4

357 canal marans LR 5

Pour que la ville de Fontenay-le-Comte ait son port, le gouffre de l’Ile d’Elle fut remanié. 

358 Gouffre de l'Ile d'Elle

359 Gouffre

Toute une série de travaux vont ensuite faciliter la navigation et l’écoulement général des eaux. En particulier les marais mouillés vont être sillonnés de canaux évacuateurs qui  font actuellement le charme des balades en barque sur la « Venise Verte ».

359 bis Damvix

359 ter promenade

     3.6  Le 20° siècle

Dans la baie de l’Aiguillon, on a poursuivi les « prises » à la mer sous forme de polders. 

361 prises

Vers 1970 autour de La Taillée, sous prétexte de remembrement, on a comblé le marais mouillé pour le transformer en vastes champs drainés. Cette opération ne pourrait plus se faire de nos jours en raison de la prise en compte des écosystèmes.

362 La Taillée

 

 4. Maintenance

Les sols étant instables et très fertiles, tout se ligue contre les travaux de dessèchement!                    

Il en découle une lutte continuelle qui demande beaucoup de vigilance et d’énergie. 

410 érosion

     4.1 Stabilisation des berges  par les plantations

411 fascinage

412 fascinage

413 fascinage

     4.2  Entretien des canaux

Faucardage 

421 faucardage 2   

Faucardage 

422 faucardeuse

Faucardeuse

Curage   

424 curage 

425 Bac à râteau 35

426 curage

    4.3 Surveillance

Les huttiers logent dans une « hutte » sommaire sur la digue.

431 copie hutte

 5. Mise en Culture
   

    5.1 Marais desséchés 

Un nouveau marais desséché est partagé au prorata des apports financiers des investisseurs.

Un plan géométrique est adopté pour le réseau des canaux intérieurs de dessèchement.

Sur une surface d’environ 40-50 ha on installe un métayer dans une « cabane ».

511 plan 

 512 Cabane 

Le sol est ensuite sillonné d’une foule de minuscules canaux qui lui donnent un aspect « ondulé ».

513 Cabane

514 billons

Depuis 1980, dans les grands champs du marais desséché, ces derniers petits canaux ont souvent été remplacés par un drainage souterrain moderne facilitant le travail des engins agricoles.

515 drainage 

     5.2  Marais mouillés

Sortie de l’AVG dans le Pays d’Olonne – Thème 3 : Les salines de l’île d’Olonne

 

La sortie de l’AVG du 3 juin 2012  dans le Pays d’Olonne, organisée par Jean-Luc et Monique Narcy avec la collaboration de Hendrik Vreken, Camille Joly, Christian Raffin et Jean Chauvet, comprenait 3 thèmes :

Thème 1 : Métamorphisme et Tectonique sur les sites de Sauveterre et de l’Anse de Chaillé. 

Thème 2 : Paléo-palynologie et botanique sur le site du marais des Bourbes.

Thème 3 : Les salines de l’île d’Olonne.

Carte géologique n°-copie-1

Thème 3 : Visite des salines de l’île d’Olonne

 Le sel gemme (NaCl), halite pour les géologues

Le sel gemme ou chlorure de sodium ou halite est une roche sédimentaire dont la  sédimentation est exclusivement chimique : la halite fait partie des évaporites.

La spécificité des évaporites tient en particulier à une propriétés majeure : la solubilité.

La solubilité est de 360 g/l pour le NaCl. Par comparaison, deux autres évaporites : le gypse (CaS04, 2H2O) et la sylvite (KCl), également en solution dans l’eau de mer, ont des solubilités de 3 g/l et 570 g/l.

La halite est une roche et pourtant son exploitation, lorsqu’elle se fait en marais salants, est réglementée par le ministère de l’agriculture !

La production du sel

Le sel est en fait produit selon trois méthodes principales : l’extraction à sec en mine souterraine à partir du sel ancien (sel de terre), l’évaporation des saumures par une source de chaleur (sel ignigène) et l’évaporation dans les marais salants (sel solaire) ce qui nous intéresse aujourd’hui !

La technique du marais salant, ici à l’Île d’Olonne … comme à Guérande, Ré, Oléron

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La technique du marais salant consiste à utiliser l’énergie du soleil et du vent pour évaporer et concentrer l’eau salée par évaporation fractionnée qui permet de récupérer le chlorure de sodium et d’évacuer les autres composants indésirables, comme les particules solides ou les minéraux moins solubles (carbonates et gypse) qui précipitent avant le sel.

Pour cela les salines sont organisées en un assemblage complexe de petits bassins peu profonds, appelés sur les marais de l’Île d’Olonne, « loires » et « métières », dans lesquels l’eau de mer pénètre depuis le Havre de la Gachère, ou bien les écluses de La Rocade et de la Bauduère (écluses ouvertes à marée haute au moment des « prises »), le mini-fleuve Vertonne, puis les « cordes » et « coursives ».

Au cours de son parcours de concentration dans les loires et métières, l’eau salée est progressivement délestée des composants les moins solubles, et les saumures finales « eaux mères » ne contiennent plus que du chlore et du sodium associés aux éléments  les plus solubles (magnésium, potassium et sulfates en excès). Les eaux mères sont conduites au long de talus, « tapes » et « contre-tapes » vers les tables salantes, « brassious » et « œillets » où le sel gemme peut précipiter, les autres éléments demeurant encore en solution. Le sel est alors extrait, fleur de sel flottant en surface, et gros sel tombant au fond. Les saumures résiduelles « eaux filles » chargées en éléments indésirables sont évacuées des tables salantes et rejetées vers les loires.

Loires, métières, tapes, brassious et aires salantes sont des espaces finement ciselés par le saunier en marches d’escalier à des niveaux différents de profondeurs croissantes et d’épaisseurs décroissantes. Les œillets n’offrent à l’évaporation qu’une tranche d’eau saumâtre de 2 ou 3 cm, à environ 0,50 cm en dessous de la cote des loires. La circulation se fait par gravité. Des vannes sont ouvertes ou fermées selon les besoins et le  savoir-faire du saunier.

Composition de l’eau de mer

 

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Cristallisation des minéraux évaporitiques

La cristallisation s’effectue donc par ordre de solubilité croissante. Ce qui est le moins soluble cristallise en 1er : gypse, puis halite et enfin, si l’on laissait faire, sels de potassium et de magnésium.

Claire Koenig, dans un article sur le site de Futura-Sciences, (cliquer ici), décrivant les marais de Guérande, mais qui s’applique bien entendu à notre site, déroule la séquence d’évaporation :

  • Les premiers sels qui se déposent sont le calcaire et la dolomie à partir d’une concentration en NaCl de 30g/litre.

  • Puis le sulfate de calcium sous forme hydratée : le gypse. La précipitation commence à une densité de 1,109 soit une concentration de 150 g de NaCl/litre : 80% de ce sel est cristallisé quand commence…  

  • la cristallisation du chlorure de sodium à d = 1, 216, soit une concentration de 350 g de NaCl/litre. Dans les marais salants, la précipitation est arrêtée volontairement quand la densité atteint, par exemple, 1,262. La saumure contient alors 40 g/l de magnésium.

Le sel qui cristallise au-delà est amer et l’évaporation devient trop lente. Les eaux sont donc évacuées. Pour produire 1 kg de sel, il faut environ 37 kg d’eau de mer dont 90% sont évaporés avant cristallisation, 7% pendant la cristallisation et 3% d’eaux mères sont rejetées.

Le soleil, le vent et le savoir-faire du saunier sont des facteurs importants. Il ne faut pas néanmoins  oublier l’aridité, ou la sécheresse de l’air qui est un facteur essentiel.

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Faciès cristallins

La figure ci-dessous illustre les principaux faciès cristallins de la halite et leur mode de formation.

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Les trémies cristallisent à la surface des saumures la pointe vers le bas et demeurent maintenues. Elles s’assemblent ensuite pour former des voiles délicats à la surface des saumures, « la fleur de sel ». Ces voiles fragmentés par l’agitation du milieu et alourdis par la précipitation d’autres cristaux d’halite, forment des radeaux qui s’enfoncent dans les saumures  et sédimentent sur le fond. Les plaquettes (trémies rectangulaires) ainsi qu’une partie des cubes à faces creuses (trémies cubiques) précipitent directement dans les saumures et s’accumulent sur le fond pour former « le gros sel ».

D’où vient le sel de la mer ? 

Les éléments de l’eau de mer ont une double origine : l’érosion des masses continentales et les apports du volcanisme océanique au cours de l’histoire de la Terre et notamment de sa période la plus ancienne.

Les salines de Guérande, de l’Île de Ré et de Noirmoutier ont-elles à craindre la concurrence de celles de l’Île d’Olonne ?

Pas forcément, encore qu’il y a beaucoup à dire sur la beauté du sel de l’Île d’Olonne. Le sel y est récolté beaucoup plus blanc que partout ailleurs. Un coup de main spécial sans doute…

 

Vues de haut et de loin, ou bien vues de très près, les marais de l’Île d’Olonne offrent un paysage et un visage éblouissants.

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Photo du haut : vue aérienne des marais de l’Île d’Olonne depuis un ULM – Cliché de Francis Leroy

En bas : composition de Jean-Luc Narcy : « Du sel et des étoiles » 

Sources

Les quelques mots ci-dessus sont pour une grande part extraits de l’ouvrage de Jean-Marie Rouchy et al. « Les Evaporites » , Société Géologique de France – Vuibert août 2006.

Les photographies aériennes depuis ULM sont l’oeuvre de Françis Leroy et sont visibles sur son site « imag.in.air » en cliquant ici. Les photos au sol ont été prises il y a longtemps, longtemps par Marcel Rabiller. Merci Marcel, merci Françis !

Maintenant, pour tout savoir sur le sel et les marais salants sans pour autant s’aventurer très loin, il convient de se référer à l’excellent article de notre collègue de l’AVG Claire Koenig dans Futura-Sciences (cliquer ici), ou au compte-rendu d’excursion en Presqu’île guérandaise du Congrès de l’A.P.B.G. de 1978, qu’il ne doit pas être si difficile que ça de se procurer…

            

Article de Jean-Luc Narcy