Tissint, la météorite martienne qui fascine

  

Tissint, la météorite martienne qui fascine

Auteur : Vahé Ter Minassian

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   Ces débris de météorite ont été découverts, en octobre 2011, non loin de la ville de Tata, dans le Sud du Sahara marocain. | AFP/Carl B. Agee

 

Qui donc révélera les secrets de la météorite martienne de Tissint ?

Depuis que ses débris ont été découverts, en octobre 2011, non loin de la ville de Tata, dans le Sud du Sahara marocain, la compétition est ouverte dans le petit monde des spécialistes des objets célestes. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en France et ailleurs, des équipes travaillent d’arrache-pied pour analyser le plus rapidement possible les échantillons qu’elles ont réussi à soustraire à l’appétit des collectionneurs privés. Avec un espoir : être les premiers à publier des résultats sur ce corps rocheux exceptionnel, dont des nomades avaient observé la chute dans la nuit du 18 juillet.

L’enthousiasme suscité à travers le monde par l’apparition de ces 7 à 10 kilos de débris noirâtres s’explique par la rareté de l’objet dont ils furent issus. Sur les 41 000 météorites trouvées sur Terre et connues de la science, 61 à peine sont, en effet, d’origine martienne. Et sur ce total, cinq seulement, en comptant Tissint, ont été récupérées juste après qu’elles sont tombées. La première, en 1815 à Chassigny en France, la dernière, en 1962 à Zagami au Niger !

Un matériau encore « frais »

Ces chutes intéressent au plus haut point les scientifiques. En procédant à l’analyse des pierres dès qu’elles ont été trouvées, les chercheurs peuvent, en effet, espérer travailler sur un matériau « frais », non encore contaminé ou érodé par un séjour terrestre. Et ainsi, si ce n’est y découvrir d’éventuelles traces de vie martienne, du moins répondre, mieux que ne peuvent faire les missions spatiales, à des questions sur l’histoire de l’atmosphère de la Planète rouge, et celle de son magnétisme et de sa géologie. Autre possibilité : étudier les conditions dans lesquelles ces objets ont été éjectés de Mars à la suite de l’impact d’une grosse météorite, puis ont voyagé dans l’espace.

Avec de tels enjeux, on comprend mieux pourquoi les débris de Tissint ont fait l’objet d’une course à l’achat entre les collectionneurs et les laboratoires. Car signe, peut-être, d’une mondialisation qui a étendu ses tentacules jusqu’aux recoins les plus reculés de la planète, « sur place, dans le désert, il ne reste plus rien d’apparent, sauf des poussières », constate Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, professeur de l’université Hassan-II de Casablanca et unique scientifique à s’être rendue sur le lieu de l’impact. Bien que des témoins aient entendu la double explosion produite par la fracturation du bolide, lors de son entrée dans l’atmosphère, puis aient vu une lueur jaune-verdâtre éclairer le ciel, le lieu où le corps céleste s’est écrasé n’a pas été connu immédiatement.

Entre 500 et 1000 euros le gramme

C’est trois mois plus tard, après d’importantes recherches, que celui-ci a été localisé par des nomades, puis par des groupes spécialisés dans la « chasse » aux météorites, une activité commerciale bien organisée au Maroc. Dès lors, la zone a été ratissée et la plupart des échantillons de cette « achondrite de type shergottite » (en référence à Shergotty, une météorite martienne dont la chute a été observée en Inde ont très vite rejoint, dans la discrétion, des circuits de vente où ils se négocient aujourd’hui entre 500 et 1 000 euros le gramme.

Bien trop cher pour la majorité des institutions publiques, dont certaines ne disposent pas de budget pour effectuer ce genre de transaction et qui ont dû y renoncer. Si le Muséum d’histoire naturelle de Londres a annoncé, le 8 février, s’être vu offrir une pierre de 1,1 kg (qui ne serait pas la plus grosse en circulation), celui de Paris, pourtant doté d’une des plus belles collections du monde, n’a pas encore trouvé le mécène qui l’aiderait à acquérir une pierre d’un tel prix.

La météorite de Tissint est-elle perdue pour la science? Tant s’en faut ! Grâce aux contacts dont ils disposent, la plupart des grands laboratoires du monde ont, en effet, déjà récupéré des échantillons. Aux Etats-Unis, les universités du Nouveau-Mexique puis d’Arizona ont annoncé les premières avoir réussi. Et, en France, le chasseur de météorites Luc Labenne a donné, dès décembre 2011, un petit fragment au Muséum d’histoire naturelle de Paris.Ce spécimen ne pèse que 1,8 gramme mais il nous a permis de commencer, très tôt, les analyses, note Brigitte Zanda, la directrice de la collection de météorites du Muséum.

Trois millions d’années dans l’espace ?

Plusieurs laboratoires français sont ainsi mobilisés. Au Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy, Bernard Marty tente de retrouver dans des inclusions vitreuses formées lors de l’éjection de la météorite hors de Mars la trace des isotopes de l’atmosphère de la Planète rouge qui y ont été piégés. Au Centre de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement, à Marseille, Pierre Rochette étudie le magnétisme de la roche dans l’espoir de dater la disparition du champ magnétique de Mars, un phénomène qui serait responsable de la perte de son atmosphère.

Enfin, à l’Institut des sciences de la Terre de Paris et à l’université de Bretagne occidentale, à Brest, Albert Jambon et Jean Alix Barrat, qui travaillent avec Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, s’intéressent à la géochimie, à la pétrologie et à la minéralogie de la pierre céleste. Ils y recherchent des « isotopes cosmogéniques de courte période » qui pourraient les renseigner sur le temps – de l’ordre de trois millions d’années – que la météorite a passé dans l’espace.

Les chercheurs français atteindront-ils leur but avant leurs confrères d’autres pays ? Réponse à Houston, en mars, lors de la Lunar and Planetary Space Conference, ou au plus tard en août à Cairns (Australie), au cours de la réunion de la Meteoritical Society.

Vahé Ter Minassian